
Quand l’assistante maternelle tombe malade : le grand oubli de la petite enfance
Aujourd’hui, j’écris cet article depuis un endroit où je ne m’étais encore jamais retrouvée en dix ans de métier : l’arrêt maladie. Mon dos a cédé. Littéralement.
Après des années à porter, bercer, me pencher, me contorsionner dans du mobilier miniature pour m’adapter à la taille des enfants, mon corps a fini par dire stop.
Qu’est ce que cela signifie, pour une assmat, de devoir s’arrêter ?
Ce n’est pas seulement douloureux physiquement. C’est une remise en question violente, un sentiment d’impuissance, presque de culpabilité. Et en même temps, c’est une prise de conscience brutale : on ne parle pas assez de ce que cela signifie, pour une assistante maternelle, de devoir s’arrêter.
Être assistante maternelle aujourd’hui, c’est être à la fois la référente affective, éducative, logistique et émotionnelle d’un ou plusieurs enfants. On est leur deuxième point d’ancrage après leurs parents. Une figure d’attachement. Un repère stable.

Mais ce que l’on oublie souvent, c’est que cette présence constante, cette stabilité, repose sur une personne. Et cette personne, c’est nous. Des femmes – souvent –, qui jonglent entre plusieurs familles, plusieurs contrats, plusieurs enfants… et leur propre vie.
Notre emploi du temps ne commence pas avec l’arrivée du premier enfant, ni ne s’arrête à son départ. Il débute bien avant, parfois à l’aube, pour préparer l’espace, les activités, les repas. Et il se termine bien après, quand on remet de l’ordre dans un quotidien chamboulé.
On travaille régulièrement plus de 50 heures par semaine, sans compter les réunions, les rendez-vous avec la PMI, les formations, les échanges avec les familles. Et dans tout ça, notre propre santé passe souvent au second plan.
On reporte les rendez-vous médicaux. On endure les douleurs. On fait taire la fatigue. Jusqu’au jour où le corps prend le relais et impose l’arrêt.
Et là, tout bascule.
Parce qu’en tant qu’assistante maternelle, on ne peut déléguer à personne. Nous sommes seules. Aucun collègue à qui transmettre le relai. Aucune structure de remplacement rapide. Si l’on est absente, tout s’arrête.
Et ce n’est pas seulement notre quotidien qui est bouleversé, mais aussi celui des parents-employeurs.
Choisir une assistante maternelle, c’est souvent faire le choix du cœur. Une personne en qui on a confiance. Une personne qui connaît chaque geste, chaque regard, chaque rythme de l’enfant. Mais c’est aussi un choix fragile. Car quand cette personne tombe malade, il n’y a pas de plan B.
Pas de dispositif d’urgence fiable
Aujourd’hui, il n’existe aucun dispositif d’urgence fiable pour accueillir les enfants en cas d’absence imprévue de l’assistante maternelle. Les crèches sont pleines. Les places d’accueil occasionnel sont rares et souvent indisponibles au pied levé.
Les autres assistantes maternelles ? Il faut un temps de coordination, une autorisation de la PMI, un accord des familles, et que les plannings s’emboîtent parfaitement… autant dire que c’est presque mission impossible.
Ce flou, cette désorganisation, cette dépendance à une seule personne, crée un stress immense pour les parents, qui doivent se débrouiller du jour au lendemain. Et pour nous, professionnelles, cela alimente un sentiment de culpabilité très fort. On n’ose même plus être malade.
Et puis, il y a les enfants.

La nécessité d’envisager des solutions
Pour un jeune enfant, changer de référent du jour au lendemain, changer de lieu, de rythme, de cadre, ce n’est pas anodin. Cela peut sérieusement perturber leur sécurité affective. Chez les plus jeunes, qui n’ont pas encore toutes les ressources pour comprendre, un arrêt brutal peut générer de l’insécurité, des troubles du sommeil, de l’alimentation, des pleurs inexpliqués.
Ce qui m’apparaît aujourd’hui comme essentiel, c’est de prévenir et préparer.
Dans le projet d’accueil, lors des premiers échanges avec les familles, il est fondamental de poser les choses avec clarté : une assistante maternelle est un être humain. Elle peut être absente. Elle peut vivre un deuil, une maladie, un imprévu. Ce n’est pas un aveu de faiblesse, c’est une réalité.
Les familles doivent être accompagnées pour envisager ces situations à l’avance :
• Ont-elles une solution relais en cas d’absence ?
• Ont-elles un soutien familial, un réseau, un autre mode de garde possible ?
• Acceptent-elles cette réalité comme faisant partie du contrat moral autant que professionnel ?
Et puis, du côté des institutions, il est urgent d’imaginer des dispositifs passerelles, des solutions souples, humaines, accessibles, pour que les familles ne soient pas seules, et que nous, assistantes maternelles, puissions prendre soin de nous sans peur de tout faire s’effondrer.
Ce métier, je l’aime profondément. Je l’exerce depuis dix ans avec passion. Mais aujourd’hui, mon corps m’a rappelée à l’ordre. Il m’a dit : « Toi aussi, tu as besoin qu’on prenne soin de toi. »
Et j’espère que ce témoignage pourra ouvrir la voie à une réflexion collective. Parce que prendre soin de celles et ceux qui prennent soin, c’est aussi prendre soin des enfants.
Que pensez-vous de cet article ?
Laissez nous votre avis !