
Je l’aime trop / je n’y arrive pas : quand certains liens déstabilisent les pro de la Petite Enfance
Travailler au quotidien auprès des tout-petits, c’est aussi, inévitablement, tisser du lien. Un lien humain, émotionnel, parfois très fort.
Il arrive qu’une professionnelle s’attache profondément à un enfant. Qu’elle ressente une tendresse toute particulière, une connivence naturelle. Et à l’inverse, il peut arriver qu’un lien peine à se créer, qu’un agacement s’installe, qu’une forme de distance — voire de rejet — s’impose malgré elle.
Ces ressentis, souvent tus ou culpabilisants, sont pourtant humains. Et ils méritent qu’on les regarde avec lucidité, sans jugement.
Les émotions des pros ne s’arrêtent pas à la porte de l’accueil
Comme l’explique Johana Delesalle, spécialiste de la question de l’attachement, les professionnelles de la petite enfance sont des figures d’attachement possibles pour l’enfant. Même en crèche, où le lien d’attachement est non seulement possible, mais nécessaire !
Le lien, quand il se construit, est précieux. Il sécurise. Il aide à grandir.
Mais ce lien n’est pas « identique » avec chaque enfant. Il est fait de réciprocité, de tempérament, d’histoire, de vécu personnel aussi. Parfois, une proximité s’installe avec une fluidité presque naturelle. D’autres fois, le contact est plus rugueux, plus fatigant, ou vient faire résonner quelque chose de personnel.
🗣️ « Je m’attache trop, je le sais. »
🗣️ « Avec elle, je n’y arrive pas, et ça me pèse. »
Ces phrases, beaucoup de professionnelles les pensent sans oser les dire. Et pourtant, elles traversent toutes, un jour ou l’autre, ces ambivalences.

Avoir un « chouchou », c’est grave docteur ?
Dans les équipes, on rit parfois en disant : « Toi, tu l’adores, c’est ton chouchou ! »
Mais cette remarque anodine peut toucher un point sensible. Comme le rappelle Héloïse Junier psychologue en crèche, avoir une affinité particulière avec un enfant n’est ni un échec, ni une faute. Cela fait partie de la réalité du métier. Ce qui compte, c’est de rester consciente de ce qui se joue, pour ne pas glisser — sans s’en rendre compte — vers des différences de traitement.
Le favoritisme involontaire, c’est offrir plus de regards, de mots doux, de temps à un enfant… sans toujours s’en rendre compte. Et cela, les autres enfants le perçoivent très finement. D’où l’importance de garder un regard professionnel sur ses élans.
Accueillir ce que l’on ressent… pour mieux ajuster ce que l’on fait
💬 Aimer plus spontanément certains enfants que d’autres n’est pas une défaillance professionnelle.
💬 Ce qui fait la différence, c’est la capacité à en prendre conscience, à en parler, à s’ajuster.
Johana Delesalle parle d’un « équilibre subtil entre implication affective et juste distance ». Une professionnelle peut ressentir de l’irritation, de la lassitude, ou au contraire une affection très forte. Mais ce ressenti n’est pas condamnable tant qu’il ne se transforme pas en comportement inégal.
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Que faire en équipe, en crèche ?
- Nommer les choses en réunion d’équipe ou en séance d’analyse des pratiques professionnelles, sans crainte d’être jugée.
- Partager la référence de certains enfants quand une relation est difficile.
- Échanger des regards croisés sur les enfants, pour enrichir les compréhensions mutuelles.
- Observer sans filtre : noter ce qu’on ressent dans certaines situations, repérer les déclencheurs.
- Suivre des formations sur la Petite Enfance, pour s’informer sur les nouvelles connaissances sur le développement de l’enfant, mieux comprendre son rôle de pro et les enjeux…
Dans une équipe soutenante, ces sujets ont toute leur place. Ils ne fragilisent pas la professionnelle : ils l’aident à se réancrer dans sa posture.
Et quand on est seule, comme assistante maternelle ?
Là aussi, ces sentiments existent. Mais ils peuvent être plus lourds à porter en solitaire.
Voici quelques ressources utiles :
- Chercher un espace de parole et d’échanges : un groupe d’analyse de pratique, un relais petite enfance, association d’assmat.
- Tenir un journal professionnel : mettre des mots sur ce qui se joue au quotidien permet souvent de mieux comprendre… et de se déculpabiliser.
- Se former en continue sur la Petite Enfance : sur les émotions des tout-petits, la communication avec les jeunes enfants, les nouvelles connaissances sur le cerveau de l’enfant, la posture éducative : cela aide à faire la part des choses entre ce qui vient de l’enfant… et ce que cela réveille chez nous.

Faire évoluer le cadre d’accueil : un levier souvent sous-estimé
Quand le lien avec un enfant est difficile, on pense souvent que le problème vient de nous… ou de lui. Mais il arrive que ce soit le cadre lui-même — les rythmes, les activités, l’organisation — qui accentue les tensions ou empêche la relation de se construire sereinement.
Voici quelques pistes concrètes pour faire évoluer ce cadre :
- Revoir l’emploi du temps :
Est-ce que les transitions sont trop rapides ou trop fréquentes ? L’enfant a-t-il assez de moments calmes, de temps individualisés ? Un simple rééquilibrage des rythmes peut rendre les moments de la journée plus propices à la relation. - Proposer des activités « liantes » :
Certaines activités favorisent naturellement la proximité et la connivence : lire un livre sur les genoux, masser les mains avec de la pâte à modeler, arroser les plantes ensemble, chanter une comptine à deux… Ce sont souvent ces micro-moments partagés qui créent du lien, en douceur. - Changer la dynamique du groupe :
Parfois, un enfant se montre plus tendu ou en retrait dans certaines configurations (groupe trop nombreux, jeux trop bruyants, attentes implicites…). Réorganiser un coin jeu, proposer une activité en plus petit comité ou ajuster la place de chacun peut tout changer.
L’objectif n’est pas de « forcer » le lien, mais de créer les conditions pour qu’il ait une chance d’émerger, autrement.
Ce que vivent les professionnelles mérite d’être dit
Le lien affectif est le cœur battant de l’accueil du jeune enfant. Et les professionnelles ne sont pas imperméables à ce lien. Elles vivent des attachements, des résistances, des échos émotionnels… autant de réalités qu’il est temps d’assumer sans honte.
Ce n’est pas parce qu’on ressent « trop » ou « pas assez » qu’on est moins professionnelle. C’est parce qu’on accepte de le regarder en face, et de faire au mieux, qu’on l’est profondément.
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